Michel Bergeron s'inquiète pour Samuel Montebeault, mais au final, c’est lui qui inquiétait.
Sur le plateau, le Tigre semblait fragile, presque épuisé, tentant de garder le cap dans une discussion pourtant familière avec Élizabeth Rancourt : les gardiens du Canadien.
Le ton n’était plus celui du « Tigre ». C’était celui d’un homme à bout de souffle.
« Oui, je suis inquiet, a-t-il soufflé. Je suis inquiet parce que là, on commence là. »
Les mots étaient hachés, la respiration courte, les idées confuses. Pourtant, on reconnaissait encore dans le propos cette vieille obsession pour la stabilité devant le filet.
« On doit se poser la question : mais qui va garder les buts ? »
Il a répété la phrase deux fois, comme s’il tentait de se convaincre lui-même.
À 79 ans, Michel Bergeron n’a plus l'énergie d'avant. Mais il garde ce sens du hockey qui le définit. Il ne peut pas s’empêcher de revenir à ce qu’il connaît : la compétition, la hiérarchie, la passion.
En parlant de Samuel Montembeault et de Jakub Dobeš, il a abordé le débat qui empoisonne le vestiaire du Canadien depuis un mois : faut-il revenir à la rotation, ou choisir un vrai numéro un ?
« Ça n’a pas de bon sens, a-t-il martelé. Moi, je reviens au fameux match du samedi soir, il y a deux semaines. Après la cinquième victoire de Dobeš, je me disais : on continue avec Dobeš. Dans le cas de Montembeault, c’est pas un problème... » a lancé Michel Bergeron avant de soudainement perdre le fil, comme si ses pensées se bousculaient plus vite que sa bouche ne pouvait les articuler.
Il a commencé à gesticuler des mains, cherchant ses mots, l’air visiblement essoufflé, laissant les phrases mourir avant qu’elles n’aient le temps de s’assembler.
Les téléspectateurs l’ont vu tenter de reprendre son idée, mais rien ne sortait avec fluidité. C’est finalement Élizabeth Rancourt, d’un ton calme et maternel, qui a terminé pour lui, comme si elle ramassait au vol une balle tombée trop vite :
« Dès que Dobeš s’enfarge, on va revenir avec Montembeault… »
C’était exactement ce que Michel essayait de dire, mais n’arrivait plus à formuler. Nerveux, les mains agitées comme un vieil entraîneur qui cherche encore son rythme ; elle, posée, obligée de compléter la pensée d’un monument qui n’arrive plus à finir ses phrases en direct. Un moment télé doux-amer, révélateur, et profondément troublant.
Au moins, on a compris ce qu'il voulait dire.
C’est du pur Bergeron : direct, old school, fidèle à cette idée qu’un gardien doit gagner sa place soir après soir.
« Tu gagnes, tu demeures devant le filet. »
Une règle simple, mais intransigeante. Mais au delà de ses idées qui vont trop dans sa tête pour ses paroles débitées, c’est sa voix tremblante qui a captivé.
Ce n’est plus le Michel Bergeron des grandes années de TVA Sports, celui qui rugissait sur le plateau de Dave Morissette, les veines gonflées, prêt à exploser sur un mauvais changement de ligne.
Ce n’est plus non plus le Bergeron flamboyant de LCN, celui qui s’emportait au point de faire paniquer Mario Dumont, obligé de lui dire : « Respire, Michel, respire ! »
Aujourd’hui, Bergeron s’accroche. Il le fait par amour du jeu, par instinct, mais aussi par peur du vide. Il sait qu’il vieillit, il sait qu’il fatigue, il sait qu’il inquiète. Et pourtant, il revient. Chaque semaine, chaque débat, chaque plateau. Il a confié récemment :
« Je me sens bien, mais je ne sais pas comment te dire ça… ça me garde alerte. Ça me force à rester à jour. »
C’est sans doute vrai. Le hockey, pour lui, est une forme de respiration. Mais hier soir, devant les caméras, on a surtout senti qu’il manquait... ses mots...
Michel Bergeron parlait de constance, de doute et de perte de repères pour Sam… exactement ce que luimême traverse.
« C’est une situation inconfortable, autant pour les entraîneurs que pour les deux gardiens de but. »
Dans cette phrase, on aurait presque pu remplacer « gardiens » par « commentateurs ». Parce que pour lui aussi, la situation est inconfortable.
Il analyse Montembeault : un gardien ébranlé, qui passe 1 h 45 sur la glace à Brossard pour tenter de retrouver son rythme. Mais en même temps, on sent qu’il se parle à lui-même. Ce besoin de retrouver sa fluidité, sa confiance, son naturel… C’est le même combat.
Depuis des mois, on parle du duel Dobeš-Montembeault comme d’un feuilleton. L’un incarne la jeunesse et l’avenir ; l’autre, la fatigue, le doute, le poids des attentes. Et voilà que Michel Bergeron, en les commentant, semble rejouer son propre combat : la jeunesse qui pousse, le vétéran qui s’accroche.
Et puis, soudain, il retrouve un éclair de son génie.
« Le Canadien n’est pas l’équipe qui lance le plus souvent au filet. On essaie d’être trop cute, trop gentil. On s’aime trop ! »
Le ton devient plus cinglant, l’œil se rallume, l’instinct du coach reprend le dessus.
« Pour être un marqueur de 50 buts, il faut être selfish, il faut être égoïste. »
En une minute, le Tigre revient. L’analyste reprend le dessus sur l’homme fatigué. Et l’espace d’un instant, tout le plateau se tait.
C’est dans ces moments-là que Michel Bergeron rappelle pourquoi il a été si longtemps incontournable. Malgré les failles, malgré les hésitations, il conserve une vision unique du jeu. Il comprend encore mieux que quiconque la psychologie des joueurs.
Mais cet éclair d'énergie ne parvient plus à masquer le reste : un corps usé, une voix "shaky", une difficulté évidente à articuler certaines phrases. Le public l’admire pour sa ténacité, mais plusieurs se demandent s’il ne souffre pas davantage qu’il ne se régénère en restant devant la caméra.
Dans une entrevue au 98,5 FM, il a avoué :
« J’ai fait plein d’erreurs durant toutes ces années. Je ramenais la défaite à la maison. Des erreurs monumentales, autant dans mon travail que dans ma vie personnelle. J’ai négligé ma famille. »
Il a aussi confié que sa femme Michelle l’a sauvé plus d’une fois :
« Sans elle, je n’aurais pas fait le tiers de ce que j’ai fait. Elle a tout pris en main : vendre la maison, acheter la prochaine, s’occuper des enfants. Quand on a fait construire la maison à Lorraine, j’ai tout choisi. Ça faisait mon affaire ; on ne s’obstinait pas. »
Il sait que son caractère, sa colère et son intensité lui ont coûté cher.
« Mon épouse s’est souvent inquiétée que ma colère ait raison de ma santé. »
Et elle avait raison : aujourd’hui, c’est un homme au cœur fragile, littéralement.
« Quand ils m’ont placé un pacemaker, ma première question, c’était : est-ce que je vais pouvoir jouer au golf ? »
Ces phrases révèlent un homme qui, derrière ses envolées télévisuelles, traîne une immense fatigue morale.
On peut s’inquiéter pour lui, bien sûr. On peut se demander si TVA Sports, en continuant de le placer en ondes, ne joue pas avec le feu. Mais on ne peut pas ignorer le courage qu’il faut à un homme de son âge pour continuer d’affronter le direct, les caméras, la lumière, les critiques, et la peur constante de la faiblesse.
Michel Bergeron aurait pu partir en légende. Il a choisi de rester humain. De montrer ses failles, sa lenteur, ses hésitations. De prouver que la passion peut parfois être plus forte que la peur.
Dans le fond, ce que le public a vu hier soir, ce n’est pas un analyste dépassé ; c’est un survivant. Un homme qui a tout donné au hockey, qui a tout perdu sauf sa voix, et qui, malgré tout, continue de la porter.
Oui, Michel Bergeron s’inquiète pour Samuel Montembeault. Mais le Québec, lui, s’inquiète pour Michel Bergeron.
Mais tant qu’il sera capable d’articuler un « ça n’a pas de bon sens » avec ce mélange unique de passion et d’impatience, Michel Bergeron restera Michel Bergeron : imprévisible, vulnérable, mais profondément vrai.
