Michel Bergeron n’a pas dit son dernier mot. Mais il est en train de disparaître. Lentement. Douloureusement. De façon confuse, troublante, et surtout, sans l’assumer.
Le roi des ondes sportives, autrefois flamboyant, aujourd’hui éteint, glisse vers une fin de carrière silencieuse, inconfortable. Non pas parce que le public l’a oublié, mais parce que lui refuse de reconnaître la réalité. Il n’est plus dans le tempo. Il n’est plus dans la discussion. Et pire encore, il refuse d’admettre qu’il a eu tort.
Pendant deux ans, Michel Bergeron a fait campagne contre Martin St-Louis. Il a ridiculisé sa nomination. Il a critiqué sa vision. Il a remis en doute son leadership. Il a martelé que la LNH n’était pas un terrain d’apprentissage, que Montréal n’était pas un terrain d’expérimentation.
Il a exigé son congédiement à la suite de la dégelée de 9-2 contre Pittsburgh. Il a répété que le CH n’avait aucune identité sous ses ordres. Il a ignoré tout ce que St-Louis apportait : la gestion humaine, la responsabilisation des jeunes, la culture de groupe.
Aujourd’hui, le retour du boomerang est sans pitié. Le Canadien est en vie. Il est au cœur de la course aux séries. Il joue avec passion, structure, enthousiasme.
Le Centre Bell est redevenu une cathédrale du hockey. Et Martin St-Louis? Il est célébré comme l’un des architectes les plus aimés du sport québécois depuis Jacques Demers. Chaque match porte le coach au 7e ciel. Chaque victoire est une réponse aux critiques d’hier. Mais de tout cela, Michel Bergeron ne dit plus un mot.
Aujourd’hui, sur les ondes de TVA Nouvelles, il est enfin sorti du silence. Pas pour reconnaître son erreur. Pas pour saluer l’œuvre de Martin St-Louis. Non. Pour dire que « le CH peut y arriver », pour parler de Suzuki, de Caufield, de Hutson.
Il a même osé comparer l’ambiance du Centre Bell à celle des anciens Canadiens-Nordiques. Il a affirmé :
« J’y crois, c’est fait. Les trois prochains matchs, Philadelphie, Nashville et Detroit : le Canadien, il faut absolument qu’il les gagne. Ils ont leur sort entre les mains. »
Mais ce qu’il n’a pas dit résonne plus fort que tout ce qu’il a pu prononcer. Pas un mot pour St-Louis. Pas une reconnaissance, pas même un soupçon d’humilité. Rien. C’est ça, le vrai malaise.
Parce que tout le monde s’en souvient. Michel Bergeron a aussi écorché Nick Suzuki toute l’année. Il a jugé son leadership insuffisant. Il a insinué qu’il manquait de patriotisme parce qu’il n’était pas allé représenter le Canada au Championnat du monde.
Il a même affirmé que cette décision allait lui coûter sa place au tournoi des Quatre Nations. Il l'a traité de tous les noms et s'en est même pris à sa fiancée pour avoir publié des photos d'un hôtel deluxe en République Dominicaine pour célébrer leurs fiançailles.
Bergeron n'acceptait pas que Suzuki passe du bon temps avec sa douce au lieu d'aller représenter le Canada.
Or aujourd’hui, Suzuki est en feu. Il mène son équipe. Il parle avec calme. Il joue avec intensité. Il est le capitaine de cette résurrection. Et malgré tout, Bergeron fait comme s’il avait toujours été dans son camp.
Cette tentative de sauver la face sans faire d’aveux, ne passe pas inaperçue. Elle dérange. Elle déçoit. Parce qu’on sait que Bergeron est un homme de convictions. Mais là, ce qu’on perçoit, c’est un homme qui refuse de faire face à la vérité.
Un homme qui s’enlise dans son silence pour ne pas se contredire. Un homme qui préfère disparaître dignement plutôt que de dire : j’ai eu tort.
Et Patrick Roy? Silence radio. Celui que Bergeron a toujours encensé. Celui qu’il voulait derrière le banc du Canadien. Celui qui, à ses yeux, incarne l’essence même du Québec, des Remparts, du vrai hockey québécois.
Aujourd’hui, Patrick Roy vit une descente aux enfers avec les Islanders. Les résultats ne sont pas là. Son message ne passe pas. Et Bergeron refuse de commenter.
Pourquoi? Parce qu’il sait que toute sortie publique sur Roy l’obligerait, par ricochet, à parler de St-Louis. À comparer les deux trajectoires. À avouer que Montréal a fait le bon choix.
On sent que Michel Bergeron n’est plus à l’aise. À chaque apparition télévisée, que ce soit sur TVA Sports ou sur LCN, le malaise grandit. Il semble fatigué. Il se contredit.
Il oublie des propos pourtant tenus quelques semaines plus tôt. Il perd le fil. On sent que ses collègues l’écoutent avec une forme de compassion gênée. Que les animateurs l’invitent encore par respect. Mais que tout le monde sait que le crépuscule est amorcé.
Et il faut parler de sa santé. Michel Bergeron l’a lui-même reconnu : il a eu une vie tout croche. Il fumait, buvait du café toute la journée, ne dormait pas, mangeait n’importe quand. Il a été hospitalisé.
On lui a installé un pacemaker. Il a eu peur pour sa vie. Mais il continue. Il s’agrippe à ses micros comme à des bouteilles d’oxygène.
Parce qu’il ne sait pas vivre sans hockey. Sans tribune. Sans public. Sauf que cette fois, ce n’est pas lui qui part. C’est le monde qui s’éloigne de lui.
Il faut avoir le courage de le dire : Michel Bergeron n’est plus un acteur du présent. Il est une voix du passé. Une mémoire vivante d’une époque révolue. Une légende qui mérite le respect, mais qui ne sait plus lire son époque.
Ce qu’il s’est passé aujourd’hui à TVA Nouvelles est un point de bascule. C’est là que tout le monde a compris que Michel Bergeron ne reviendrait jamais vraiment.
Qu’il n’a plus la flamme. Qu’il n’a plus l’acuité. Qu’il refuse de reconnaître ce que tous les partisans du CH vivent intensément : Martin St-Louis est l’homme de la situation. Et il est ici pour rester.
Montréal n’a jamais été la ville de Michel Bergeron. Il a toujours appartenu aux Nordiques. Même dans son langage corporel, dans ses intonations, dans son regard, on sent qu’il ne s’est jamais tout à fait réconcilié avec le fait de devoir commenter le Canadien. Il l’a fait, par obligation professionnelle, mais son cœur n’y était pas.
Aujourd’hui, Montréal a choisi. Elle a choisi Martin St-Louis. Elle a choisi Suzuki. Elle a choisi une jeunesse imparfaite mais honnête, une équipe imparfaite mais inspirée. Et elle n’a plus de place pour ceux qui refusent de tourner la page.
Bergeron aurait pu quitter en légende, avec panache, avec humilité. Il aurait pu s’excuser, reconnaître ses erreurs, passer le flambeau. Mais il a choisi de s’accrocher, de nier, de faire semblant. Et c’est ce refus de vérité qui assombrit sa sortie.
Il faut quand même lui rendre ce qui lui revient. Michel Bergeron a diverti le Québec pendant des décennies. Il a incarné une époque où le hockey se vivait avec les tripes, où les débats se réglaient sur les ondes à coups de phrases mordantes et de prises de position tranchées.
Il a été une voix incontournable, un personnage plus grand que nature, un véritable monument du paysage sportif québécois. Des milliers de foyers ont vibré à ses montées de ton, à ses envolées, à ses colères parfois caricaturales mais toujours sincères.
Mais comme certains chanteurs qui font l’album de trop, ou ces gloires passées qui refusent de quitter la scène, Bergeron s’accroche aujourd’hui à un passé qui ne lui appartient plus.
Et ce faisant, il ternit doucement l’héritage immense qu’il laisse derrière lui. On aurait voulu le voir partir debout, avec classe, avec cette même fougue qu’il a toujours défendue. Mais le temps, lui, ne fait pas de sentiment.
Et maintenant, même son silence parle plus fort que ses mots.
La fin ne sera pas glorieuse. Elle sera floue, triste, marquée par l’oubli progressif. Michel Bergeron ne sera pas congédié. Il va simplement cesser d’être invité. Et un jour, on se souviendra de lui avec tendresse, mais aussi avec la certitude qu’il aurait pu mieux finir.
Et c’est peut-être ça, le plus cruel.