Seul au monde: Samuel Montembeault aux douches sans parler

Seul au monde: Samuel Montembeault aux douches sans parler

Par David Garel le 2025-10-20

Il était 10h07 à Brossard lorsque la situation est devenue trop évidente pour être ignorée. Jakub Dobeš quittait la patinoire, salué par quelques cris admiratifs depuis les baies vitrées.

Il venait de compléter une routine efficace, rapide, structurée. Il n’en faisait pas trop. Il savait que le travail était fait. Le filet lui appartient ce soir contre Buffalo, et personne, pas même Martin St-Louis, n’a tenté de cacher cette réalité.

Interrogé sur la hiérarchie devant le filet, l’entraîneur-chef du Canadien a bien tenté de cacher sa réponse dans l'argument de la compétition interne, mais ses propos ont trahi un malaise.

« Je pense que c’est une ligue compétitive. Tu vas toujours avoir une compétition interne peu importe la position que tu joues », a-t-il commencé, avant d’admettre du bout des lèvres que « Dobes mérite des départs » en raison de ce qu’il a accompli jusqu’ici.

Et lorsqu’on lui a demandé s’il y avait une ligne à tracer entre donner la chance à son gardien numéro un de retrouver son rythme, ou laisser la compétition décider, St-Louis a simplement répondu :

« Il n’y a pas une réponse précise. On marche la ligne. »

Une ligne mince, sur laquelle Montembeault glisse de plus en plus.

Pendant ce temps, le Québécois, seul, restait sur la glace.

Il patinait sans conviction, comme un homme à qui on n’a rien dit, mais qui comprend tout. Les jambes traînantes, le regard fuyant. Pas de signe de colère. Pas de démonstration. Juste cette fatigue sourde, cette compréhension douloureuse de quelqu’un qui voit les projecteurs s’éteindre un à un.

Ce matin-là, les journalistes étaient nombreux. Et pour cause. Depuis 24 heures, la controverse des gardiens est revenue avec fracas dans les ondes de BPM Sports, sur les colonnes numériques de La Presse, sur les tribunes de TVA Sports, et même à Radio-Canada.

Tout le monde parle de la situation, alors que Dobeš est en train de tasser Montembeault.  

Quelle situation? Un jeune gardien adoré qui monte, un autre, plus expérimenté, qui s’efface dans l’ombre, à la fois victime de sa constance et de son manque de magie.

Sauf que cette fois, le gardien qui s’efface n’est pas Jaroslav Halak.

C’est Montembeault.

Et il ne s’efface pas en silence. Il fait de la peine. Il dérange. Parce qu’on sait d’où il vient. Parce qu’on se souvient de ce qu’il a porté ces dernières années. Parce qu’il n’a jamais eu de luxe, de zone de confort, ni de contrat blindé.

Parce qu’il a accepté de signer un contrat de trois ans et 3,15 M$ par année, bien en bas de sa vraie valeur, sans aucune clause de non-échange, pour rester ici, au Québec, dans un club qui n’a jamais cru totalement en lui.

Parce qu’il a refusé de se plaindre. Parce qu’il a tenu le fort, seul, pendant deux saisons difficiles. Et que maintenant que le vent tourne, il n’est plus dans l’image.

Ce matin à Brossard, tout ça était évident. Il suffisait d’ouvrir les yeux.

Le staff ne lui a rien dit. Il n’y a pas eu de claque sur l’épaule. Pas de mot d’encouragement devant les caméras. Juste ce long moment de solitude.

Ce moment où il fait des déplacements papillon sans personne autour, sans tir à bloquer, juste pour rester un peu plus longtemps sur la glace. Pour retarder le retour au vestiaire. Parce que là-bas, il n’y a rien à attendre non plus.

Le Canadien part bientôt pour l’Ouest. Ce voyage, tout le monde en parle depuis la défaite contre les Rangers. C’est un moment crucial du calendrier. Et tout indique que si Jakub Dobeš fait le travail ce soir contre Buffalo, c’est lui qui défendra le filet le 22 octobre contre les Flames de Calgary.

Ce sera le vrai tournant.

D’ici là, Montembeault doit vivre avec l’humiliation d’un homme qui sent que le banc lui échappe, que le vestiaire ne le regarde plus pareil, que la confiance de son coach n’est plus là.

L’expression de Martin St-Louis lors de sa dernière conférence de presse, quand il a esquivé la question sur ses gardiens, en disait long : il protège Montembeault pour ne pas créer de fracture, mais il voit bien que le momentum est ailleurs.

Et ça, Montembeault le sent mieux que quiconque.

Il est intelligent. Il comprend le langage non verbal. Il voit la place que prend Fowler à Laval. Il entend les rumeurs, même s’il dit qu’il ne lit pas les journaux. Il voit les yeux de ses coéquipiers se tourner vers Dobeš. Il sait que l’organisation prépare un changement générationnel avec Jacob Fowler aux portes de la LNH, qu’on parle de trade, de transition, de nouvelles dynamiques.

Et surtout, il sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur.

Et le pire, c’est que Samuel ne joue même pas. Il va regarder, attendre et subir.

Il fait du temps supplémentaire à Brossard comme un numéro deux. Cruel.

La réalité, c’est que cette controverse le dépasse. 

Il est pris au piège d’un cycle qui recommence. Le même que Price-Halak. Le même que tous les duels de gardiens à Montréal, qui finissent toujours par détruire celui qui est le plus gentil, le plus poli, le plus loyal.

Et Montembeault est tout ça à la fois.

Il ne crie pas. Il ne boude pas. Il garde tout en dedans. Et c’est ce qui rend sa situation encore plus douloureuse. Parce que ce matin, sur la glace, son silence était un cri d’alarme que personne n’a voulu entendre.

Pas même son coach.

Il aurait suffi d’un mot. D’un petit geste. De l’envoyer devant les médias pour montrer qu’il est encore dans le portrait. Rien de tout ça n’est arrivé.

Montembeault, lui, se faufilait vers les douches sans dire un mot. Sans un regard. Sans un mot. Invisible.

Même sa propre mère, Manon Royer, avait lancé un cri du cœur au printemps dernier, à la fête des Mères. Invitée à la radio par Philippe Cantin, elle avait dénoncé l’ingratitude des partisans et l’abandon médiatique.

« Ça m’arrive que je vais voir les profils de ceux qui écrivent des critiques et j’aurais tellement envie de leur demander ce qu’ils penseraient si je disais la même chose de leur enfant », avait-elle dit avec une émotion brute.

Elle avait vu venir cette controverse. Elle savait qu’un jour, son fils se ferait balayer par un autre, sans même avoir la chance de se battre à armes égales.

Et ce jour est arrivé.

Ce matin, à Brossard, personne n’a parlé d’un changement de garde.

Mais tout le monde l’a vu.