L'un des plus grands journalistes de l'histoire du Québec a disparu. Et le Journal de Montréal a choisi, délibérément, de l’ignorer.
Pas de journaliste dépêché.
Pas de chronique hommage.
Pas même une ligne écrite par quelqu’un qui l’a connu, reconnu ou simplement respecté.
Absolument rien pour Tom Lapointe, même s'il a donné une énorme partie de sa vie au Journal de Montréal.
Seulement une dépêche glaciale, sans âme, pondue par l’Agence QMI, ce bras mort de Quebecor qui vomit des nouvelles à la chaîne comme une usine qui fabrique des croquettes pour chien.
Une note expéditive pour annoncer la mort d’un homme qui a passé les plus belles années de sa vie à écrire, à faire rayonner ce journal, à le représenter dans toutes les régions du Québec.
Et pendant ce temps-là, pendant que le Journal de Montréal lui crachait dessus en silence, Richard Labbé, dans La Presse, écrivait un texte complet, nuancé, rempli d’émotion, d’histoire, de mémoire. C’est là, dans le camp ennemi, que l’hommage a été fait.
Il faut dire que Tom Lapointe a aussi travaillé à La Presse. Mais cela n'excuse en rien que le Journal de Montréal l'ait oublié.
Chez lui.
Dans « sa famille ».
Le mépris absolu.
Ce n’est pas une erreur. Ce n’est pas un oubli. C’est un choix.
Un choix corporatif. Un choix de lâcheté. Un choix d’amnésie volontaire. Parce que Tom Lapointe, pour eux, c’est le passé. Parce qu’il a eu ses travers. Parce qu’il a fini en marge. Parce qu’il n’était plus « utile » pour leurs narratifs.
Parce que c’est plus facile de mettre une photo sur Facebook que de mobiliser une plume et un photographe pour une pleine page dans l’édition du samedi.
Mais ce n’est pas juste une faute professionnelle.
C’est une faute morale.
Tom Lapointe a été l’un des piliers du Journal de Montréal. Il a apporté des scoops. Des exclusifs. De l’influence. Il a marqué le journalisme sportif. Il a été une vedette médiatique à une époque où ça voulait dire quelque chose. Il a mis ce journal sur la map. Il a personnifié le journal. Il en était l’ADN vivant.
Et ce journal-là, aujourd’hui, n’a rien trouvé de mieux que de lui balancer une brève sans âme, entre deux nouvelles de faits divers et un topo sur la météo.
C’est tout simplement honteux.
Ce qui s’est passé est le reflet de quelque chose de beaucoup plus grand : la faillite morale complète de Quebecor.
Cette entreprise qui, jadis, se disait au service des Québécois, qui défendait ses journalistes, qui glorifiait la liberté de presse, est aujourd’hui un cimetière médiatique où les vieux sont oubliés, les jeunes sont exploités, et les morts sont ignorés.
Pendant que Tom Lapointe rendait son dernier souffle au centre Pallia-Vie, Quebecor était trop occupée à :
Envoyer des mises en demeure à des petits sites web et des blogueurs indépendants;
Tenter de faire survivre TVA Sports en pleine série finale de la Coupe Stanley;
Faire pleurer les employés dans les couloirs avec des mises à pied à la chaîne;
Imposer du contenu recyclé à travers ses plateformes via QMI;
Protéger un ou deux chroniqueurs vedettes qui ne vivent que pour leur ego.
On a oublié ceux qui ont bâti la maison. On a effacé la mémoire. On a remplacé l’hommage par la productivité. On a troqué le respect pour l’indifférence.
Et ça, c’est indéfendable.
Rappelons quelques faits, gracieuseté de Réjean Tremblay qui s'est aussi indigné du silence du Journal de Montréal face au décès de ce grand du Québec.
Tom Lapointe, c’est :
L’homme qui a sorti le scoop de l’échange de Wayne Gretzky avant tout le continent nord-américain.
Celui qui a multiplié les accès aux grands noms du hockey : Lemieux, Gretzky, Lafleur, Robitaille.
Celui qui passait ses étés à faire la tournée des villes du Québec avec une équipe de balle-molle aux couleurs du Journal de Montréal. Pas pour le cash. Pour promouvoir la marque.
Celui qui vivait, mangeait, respirait ce journal.
Et ça, ça ne mérite même pas un texte signé?
Ils n’avaient personne dans cette boîte, qui se dit encore « un des plus grands médias au Canada », pour écrire 800 ou 1000 mots sur un gars qui a donné dix ans de sa vie à cette maison?
Ils n’ont même pas été capables d’appeler Réjean Tremblay, un de ses vieux frères d’armes, pour recueillir un mot? Ils n’ont pas eu l’idée de fouiller dans leurs archives? De rappeler ses vieux collègues? De reprendre des passages de ses textes d’époque?
Non. Parce qu’au Journal de Montréal, la mémoire, ça coûte trop cher.
Ce même Journal de Montréal qui fait campagne contre les voleurs de contenu. Qui font des publications pour dénoncer ceux qui copient ou diffusent illégalement leurs textes. Qui attaque légalement des gens sur Internet pour protéger leur « propriété intellectuelle ».
Mais cette propriété-là, celle de Tom Lapointe, celle de son œuvre, de sa vie, de sa voix, eux, ils la jettent à la poubelle.
On protège des droits, mais on abandonne les hommes.
On défend des logos, mais on laisse mourir l’âme.
Et le pire? C’est qu’ils n’en ont rien à foutre.
Ils sont déjà passés à la prochaine nouvelle. Ils sont déjà en train de générer du contenu pour faire du clic. Ils pensent déjà à leur placement publicitaire de la Saint-Jean-Baptiste.
Pendant ce temps, c’est La Presse, c’est Radio X, c’est Punching Grace, les plateformes où Tom n’a jamais travaillé, qui lui rendent hommage. Le Journal de Montréal, lui, préfère faire comme si Tom n’avait jamais existé.
Ce que le Journal de Montréal vient de faire, c’est plus qu’un manque de classe. C’est une gifle en plein visage à tous ceux qui ont travaillé dans cette maison. À tous ceux qui y travaillent encore. À tous ceux qui ont un tant soit peu de fierté pour l’histoire du journal.
Parce que si Tom Lapointe peut mourir dans l’indifférence de ses anciens patrons, alors tout le monde peut.
Vous avez donné votre vie? Vous avez tout fait pour l’entreprise? Vous avez été un ambassadeur?
Ça ne comptera pas.
Pas si vous devenez moins rentable.
Pas si vous tombez malade.
Pas si vous ne cadrez plus dans le moule.
On vous oubliera.
On vous effacera.
On vous résumera en quatre paragraphes impersonnels sortis d’un robot de rédaction.
Et ça, ça devrait faire frémir tout le monde dans le milieu.
Ce texte aurait dû venir de chez vous
Ce que vous lisez ici, ce cri du cœur, ce n’est pas mon travail. C’était le vôtre.
Vous, le Journal de Montréal, vous auriez dû sortir ce texte. Vous auriez dû publier une pleine page. Vous auriez dû mettre sa photo en noir et blanc. Vous auriez dû écrire « Merci, Tom » en gros caractères. Vous auriez dû appeler ses proches, recueillir leurs mots, montrer que vous avez encore une parcelle de décence.
Mais non. Vous avez choisi la voie facile.
La voie indifférente.
La voie corporative.
Et pour ça, on ne vous pardonnera pas.
Tom Lapointe méritait mieux.
Et vous avez prouvé, en ce jour de deuil, que le Journal de Montréal d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui qu’il a connu.
Un jour, ce journal mourra lui aussi.
Et là, peut-être, on comprendra ce que ça veut dire être oublié.